Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écrit ici, j'ai en effet été assez occupe ces derniers temps. J'ai en particulier visité Hiroshima et Kyoto, j'aurais à ce propos quelques anecdotes à raconter.
Une fois n'est pas coutume, je vais parler de politique. En effet, ce 8 août marque peut-être un tournant dans l'histoire de la politique japonaise.
Lorsque que l'actuel premier ministre, M. Koizumi - dont la crinière n'a rien à envier à celle de M. de Villepin -, a pris ses fonctions il y a à peu près quatre ans, il était l'homme des réformes. Il avait en particulier l'intention de privatiser la poste japonaise, qui grâce à l'épargne des japonais est l'établissement bancaire que dispose de la plus grosse somme d'argent au monde. Cependant, au cours de son mandat les réformes se faisaient attendre et le premier ministre faisait plus parler de lui par ses visites controversées au sanctuaire de Yasukuni que par ses réformes effectives... Jusqu'à maintenant.
Depuis quelques mois, le premier ministre prepare sa reforme de la poste pour que au moins la partie bancaire soit privatisée. Son projet de loi étant passé de justesse a l'Assemblée, il a été soumis au vote du Sénat. Après de nombreuses polémiques au sein de la classe politique, le texte a été rejeté à cause de dissidents au sein du parti de la majorité (le Jiminto). En réponse à ce vote, et conformément a ce qu'il avait dit, le Premier Ministre a annoncé dans la journée la dissolution de la Chambre des députés.
Voici ce que disent
les journaux français, soucieux d'être concis pour un sujet si loin des préoccupations de leurs lecteurs. En réalité, cette décision n'est pas aussi stupide que la dissolution de Chirac en 1997 et est une grande preuve de courage de la part de l'actuel Premier Ministre. C'est presque un sacrifice conscient de sa carrière pour que les changements nécessaires aient lieu au Japon.
Politique du JaponAvant de continuer, un petit tour d'horizon de la politique japonaise s'impose. Il y a trois partis importants au Japon :
- Le Parti Libéral-Démocrate (Jiminto) a toujours été le parti dominant. Pour cette raison, il inclut differents mouvements, qui ne sont pas toujours forcément d'accord les uns avec les autres. Sa taille fait qu'il n'y aie pas forcément de direction politique bien claire :la plupart des politiciens y entrent puis essaye de le faire aller dans la direction qu'il préconise.
- Le Komeito est la branche politique de la secte Soka-Gakkai. C'est un petit parti, mais le Jiminto a depuis peu besoin de son alliance pour conserver la majorité absolue.
- Le Parti Social-Démocrate (Minshuto) est un parti de gauche, le principal parti d'opposition. Son influence est grandissante, mais il reste minoritaire face à l'alliance Jiminto-Komeito.
Koizumi est du Jiminto. Avant de devenir Premier Ministre, ainsi que quand il a pris ses fonctions, il a toujours affirmé vouloir privatiser la poste. Ayant la majorité avec lui, son projet de réforme aurait du passer comme une lettre à la poste (c'est le cas de le dire), n'est-ce pas ? Ce n'est pourtant pas ce qui s'est passé. Plusieurs cadres du Jiminto, en particulier le sénateur Kameï, ont appelé à voter contre le projet de réforme. Au final, 22 sénateurs du Jiminto ont voté contre, et le projet de loi a été rejeté. L'argument : si la poste est privatisée, les petits villages de campagne n'auront plus de bureau de poste. C'est louable.
À travers le miroirImaginez le tableau : des politiciens d'un parti de droite, parmi les plus puissants (imaginez Francis Mer, ou Nicolas Sarkozy), se battent corps et âme contre la privatisation d'une instance publique pour protéger les petits villages. Pour cela, il vont jusqu'à s'opposer à la direction de leur parti, même si certains d'entre y étaient promis à un brillant avenir (premier ministre). Je vous assure que c'est très amusant de les voire se prêter à un tel exercice.
En fait, l'envers du tableau est bien différent. Je vous avait dit que la poste japonaise était l'institution bancaire qui disposait du plus de liquidités au monde. Cette instution bancaire appartenant à l'État, celui-ci ne se gêne pas pour se fournir des prêts en utilisant l'épargne des japonais. Cet argent sert à diverses choses, comme par exemple construire des autoroutes inutilisées au fin fond de la campagne, avec un pot de vin à la clef. Au final, l'État japonais est surendetté.
Koizumi veut mettre fin à ce système, l'État ne doit plus se servir littéralement dans les comptes de la poste. Pour cela, la seule solution est de se séparer de la poste. La privatiser pour mieux la protéger des politiciens peu scrupuleux. Forcément, ceux qui avaient l'habitude de profiter du système veulent défendre ce qu'on appellerait en France leurs "acquis sociaux". Et pour cela, le seul argument valable... C'est la protection des campagnes.
C'est pour cela que Koizumi a prononcé la dissolution. Pour que les politiciens vérreux ne soient pas réélus et que la réforme puisse passer. Il a ajouté autre chose : les dissidents ne pourront pas utiliser le nom du parti lors des élections, et Koizumi présentera un candidat du parti contre eux.
Dissolution du Jiminto ?Cette décision est risquée. D'une part, le peuple japonais n'etait à priori pas pour une privatisation de la poste. Le fait que la poste soit publique est pour eux un gage du sécurité pour leur épargne. On ne sait pas si "japonais moyen" va bien comprendre le problème de magouilles qui se pose tant que la poste est publique. D'autre part, le Jiminto va être affaibli à coup sûr. Il se pourrait que le Minshuto prenne la majorité des sièges. Pour finir, le gouvernement Koizumi est dissout avec l'Assemblée et Koizumi est loin d'être sûr de garder sa place.
Une autre question se pose, c'est celle de la scission du Jiminto en plusieurs partis. Curieusement, les cadres "dissidents" ont affirmé leur amour pour le Jiminto et leur voeux que celui-ci reste ce qu'il est. À mon avis, une scission pourrait au contraire permettre de sortir les débats du Jiminto (une politique mono-partite n'a jamais été très démocratique) afin de les remmettre entre les mains des japonais.
Nos amis japonais voteront donc le 11 septembre prochain ! Alors, quatre ans apres le World Trade Center, est-ce qu'on va assister à l'explosion du Jiminto ?